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Le sport fait société : incarner les valeurs de notre époque

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Sport Société

Author : Martin Piot

Read time : 7 mins

Date : 2024-06-11

Dans un secteur en constante évolution où les attentes du public sont élevées, Martin Piot Vice Président et Jean-Jacques Charrais Directeur de création expliquent comment les agences définissent les stratégies créatives et incarnent leurs engagements citoyens à travers les événements sportifs.

Quelle image le sport évoque-t-il selon vous aujourd’hui et quelles valeurs cette discipline partage-t-elle avec l’agence ?

Martin Piot : L’image du sport a considérablement évolué au cours des siècles et en particulier ces dernières années. Nous sommes entrés dans l’ère du sport-ciété, mauvais mot-valise pour dire que le sport fait aujourd’hui société. Le succès d’une série comme La fièvre sur Canal + le montre bien, le sport dépasse aujourd’hui les enjeux purement sportifs pour se faire miroirs des mœurs de notre époque : les questions d’inclusivité, l’accès au sport pour tous, la santé physique ou mentale, le harcèlement physique ou moral et le racisme sont autant de sujets qui traversent le sport et l’amplifient.

Ce rapport à la société est aussi celui qui nous guide chez W Conran Design. Nous avons réalisé très récemment une grande étude mondiale sur les marques citoyennes (Citizen Brands) qui doivent dorénavant répondre chaque jour aux injonctions contradictoires de l’écologie et de l’économie, avec toujours pour les patrons de ces marques la crainte d’en faire trop… ou pas assez.

C’est en cela que l’univers du sport porte aujourd’hui des valeurs qui nous ressemblent, dans ce rapport citoyen des marques au monde. Et dans le fond, nous sommes de grands sportifs, nous pratiquons un métier de labeur, où il faut mille fois remettre la main à l’ouvrage, nous nous entraînons sans cesse, devons faire preuve d’endurance voire de résilience et nous ne sommes rien sans le collectif. Nos consultations s’apparentent à de grands rendez-vous sportifs !

Que représentent les événements sportifs pour une marque et son agence en termes de collaboration à long terme et quelles en sont les plus-values ?

Martin Piot : Nous sommes des bâtisseurs de marque, notre plus grand défi est de construire des marques citoyennes et durables, qui résistent aux assauts des tendances et à l’air du temps. Travailler pour des événements sportifs comme le stade de Roland-Garros ou les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, c’est paradoxalement travailler sur la durée, faire le pont entre un incroyable passé (l’héritage de Suzanne Lenglen ou celui des Jeux de 1924) et la projection dans le futur…

Nous travaillons depuis près de 10 ans pour la FFT et la rénovation du stade Roland Garros : cela a été une gageure car il fallait chaque année conduire les travaux de réaménagement et garantir la bonne tenue du tournoi. Nous nous sommes fait quelques cheveux blancs. Pour Paris 2024, durant les 4 dernières années, nous avons mobilisé une équipe de près de 20 personnes pour gérer les différents sujets : pictogrammes sport, équipe de France, Look of the Games, signalétique, mascotte, etc.

Pour une agence, ces projets de temps longs sont une vraie respiration dans un océan de sujets court-termistes. Travailler dans le temps nous permet d’avoir une connaissance approfondie des sujets et des enjeux, de tester des choses, de se tromper, de refaire. Cela devient un luxe dans nos métiers d’avoir le temps et de bien faire les choses.

Vous avez notamment incarné le changement d’identité de Roland Garros et vous travaillez depuis 3 ans maintenant sur l’identité visuelle des Jeux Olympiques 2024 qui se déroulent à Paris, cet été. Quelle est votre démarche créative sur des projets d’une telle envergure ?

Jean-Jacques Charrais : Ce qui diffère quand on travaille sur des marques d’envergure comme les Jeux Olympiques et Paralympiques ou Roland Garros, au-delà de la visibilité extraordinaire qu’elles offrent, c’est leur champ historique (des marques centenaires) – Le travail de benchmark s’apparente plus à un travail d’historien et c’est passionnant. Pour savoir où emmener ces marques il faut d’abord comprendre d’où elles viennent, ce qu’elles ont fait – et surtout ce qu’elles veulent faire.

Pour Paris 2024, notre approche a d’abord été stratégique/créative : comment définir un guide pour les projets à venir qui définissent clairement et de manière globale l’ambition créative pour la marque, sa plateforme, ses valeurs, sa promesse, son discours et sa personnalité ?

Ce qui nous a guidés, c’est la volonté très forte du Comité Olympique d’ « Ouvrir Grand les Jeux » à toutes et à tous. C’est le sens de la signature que nous avons créée et qui engage à la fois les femmes, les hommes, les athlètes olympiques et les athlètes paralympiques sur un pied d’égalité. Cette notion de parité et d’inclusivité a irrigué chacune de nos propositions.

Il y avait aussi une forte attente du COJO à « casser les codes » : célébrer le centenaire de la venue des Jeux à Paris oui, mais de manière innovante. Dans nos réponses créatives, nous avons toujours cherché un sens derrière ce pas de côté, et ce, sur tous les sujets (les Équipes de France OLY/PARA, les pictogrammes des sports, la mascotte, le Look of the Games).

Il s’agissait également de trouver les meilleurs talents et les meilleurs experts tels que des typographes, des character designers, ou par exemple, sur des sujets aussi précis que la signalétique avec ses problématiques d’accessibilité, nous avons travaillé avec des associations spécialisées en accessibilité et fait appel à des signaléticiens.

Nombreuses sont les marques qui cherchent à s’associer au sport pour valoriser leurs engagements. Qu’est-ce qui vous démarque des autres agences travaillant sur ces sujets ?

Martin Piot : Ce qui nous démarque, c’est que nous ne sommes pas une agence dédiée au sport mais une agence dédiée aux marques, nous ne traitons pas que de sport chez W, bien que cette pratique constitue une part importante de notre activité. Nous traitons les marques événements de la même façon que les autres marques, en dépassant le caractère éphémère pour construire des marques durables, engagées et responsables.

Ces événements ont une résonance internationale non négligeable et sont de véritables vitrines médiatiques. Qu’est-ce que cela représente en termes d’enjeux d’image de marque, que ce soit pour celles que vous accompagnez mais également pour vous, en tant qu’agence ?

Martin Piot : Évidemment, ces projets sont des leviers d’image importants pour notre agence mais j’ai envie de vous dire que ce sont avant tout des enjeux de fierté interne. Après tout, nous pouvons nous enorgueillir d’être l’agence des Jeux Olympiques et Paralympiques et d’avoir ainsi une modeste responsabilité dans le rayonnement international de la France ! Plus d’un milliard de spectateurs pour jauger nos travaux créatifs, cela ne nous arrive pas si fréquemment. Nous sommes extrêmement excités car chaque jour, nous découvrons de nouveaux projets, de nouvelles installations, de nouveaux produits dérivés à l’image de nos pictogrammes, de la mascotte ou du look. L’agence est en train de devenir un cabinet de curiosité dédié à Paris 2024.

Vous parlez notamment du design comme vecteur de progrès durable, moteur de contribution positive. Comment s’incarne cette vision sur des événements d’une telle ampleur ?

Jean-Jacques Charrais : L’idée d’une contribution positive a été au cœur de tous nos projets, c’est le sens qui a motivé l’expérimentation créative et son impact sur la société, c’est-à-dire comment profiter d’un événement autant regardé pour parler des grands sujets de société, le handicap, l’inclusivité, l’incitation à la pratique sportive et l’éducation des plus jeunes. Pour les Jeux il y a plusieurs enjeux d’héritage : ce qu’on laisse dans les esprits, dans l’espace public en physique et ce qui, peut-être, influencera à son tour le travail de design des prochaines éditions.

Quelques exemples : nous avons développé un seul territoire graphique pour l’équipe de France Olympique et Paralympique, ce qui n’était pas le cas auparavant et nous avons imaginé une mascotte non genrée avec une représentation visible du handicap. Nous avons également conçu un Look of the Games ouvert et appropriable par les marques partenaires, qui serait identique pour les jeux olympiques et paralympiques ainsi que des pictogrammes sports non genrés, tout en essayant au maximum de créer des pictos identiques pour les sports olympiques et paralympiques. Du reste, l’emblème de l’Olympiade qui a été créé avant que nous n’intervenions initiait déjà ce processus.

Enfin, nous avons aussi accompagné les équipes RSE de Paris 2024 dans leur stratégie ; ce qui est un vrai challenge pour un événement de cette envergure et dont l’empreinte est forcément importante. L’idée étant de ne pas se disperser, d’investir quelques champs d’expertise clés et de faire preuve d’humilité. On a privilégié le discours de preuve, l’invitation à l’action et l’humour pour ne pas être donneur de leçons.

Diriez-vous que les événements sportifs sont une opportunité à une créativité plus grande au vu des enjeux de visibilité auxquels ils font face ?

Jean-Jacques Charrais : Tout projet peut être une opportunité à une grande créativité – à son échelle, dans son contexte. Avec le sport les émotions sont décuplées, c’est un peu irrationnel – c’est un terreau fertile pour imaginer de nouvelles choses enthousiasmantes – de projeter sa création en ayant en tête la performance des athlètes, la ferveur du public… Il y a aussi une excellence créative internationale autour du sport, avec des marques leaders qui ont poussé les curseurs très loin et qui sont devenues une norme en termes d’attente du public.

Quels sont les risques en tant qu’agence et marque lorsque l’on sait ce que représentent ces temps forts sur la scène internationale et comment faire face à l’attente des publics sur ces moments clés ?

Martin Piot : Le risque, pour les JOP notamment, est un risque de détournement, nous l’avons vu lors du dévoilement de la mascotte et de la polémique sur le soi-disant clitoris. Nous avons eu la chance de travailler sur ce projet avec un client mature, qui a su prendre le sujet avec humour et philosophie. Mais nous nous en doutions, cette extraordinaire exposition médiatique suscite des critiques et des envies.

Et pour faire face à l’attente des publics, nous nous sommes appliqué une règle, celle de constamment nous placer du côté des usages et de l’amélioration d’une situation existante en une situation préférable. C’est le rôle du design du reste.

Par ailleurs, pour être honnête, dans le fonctionnement avec le COJO, nous avons initié de nombreux sujets, puis développé des outils de déploiement qui ont ensuite été partagés par des équipes opérationnelles talentueuses en charge de leur déploiement. Nous faisons partie d’une chaîne de talents.

Quels messages vous permettent-ils de véhiculer ? Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’un point de vue mondial ?

Martin Piot : En concevant la signature « Ouvrons grand les Jeux », nous avions avec les équipes marque de Paris 2024 un seul objectif, celui de faire de ces jeux les jeux de la pleine conscience et de l’inclusivité, en espérant que cet événement exceptionnel marquera l’histoire… rien de moins.

Martin Piot

Vice President - W Conran Design

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